23 Jan 2018
Vallée de la Bekaa, Liban
Aliments et agriculture durables

Lorsque la guerre en Syrie voisine a provoqué la fermeture des routes d’exportation du Liban et coupé l’accès aux marchés internationaux, une crise dans le marché de la pomme s’en est suivie. De nombreuses exploitations agricoles ont cessé leurs activités ; mais Marie Nahas et sa famille ont refusé d’abandonner. En cherchant une stratégie pour sauver leur verger, elle découvre une approche collaborative et écologique qui allie le savoir-faire traditionnel et la recherche moderne.

« Il faut sept ans pour que les pommiers commencent à donner des fruits », dit Marie Nahas. « Nos arbres n’avaient que sept ans quand la crise de la pomme s’est produite ». En 2015, le verger familial commençait à peine à porter les fruits tant attendus du travail de toute la famille. Mais en raison de l’agitation causée par la guerre de Syrie, les marchés des fruits et légumes ont fermé. La famille Nahas n’avait aucune chance de vendre sa récolte cette année-là.

« La guerre syrienne a grandement affecté les exportations libanaises, en particulier les fruits et légumes destinés aux marchés arabes », explique Khaled Sleem, directeur de production chez Native Nurseries « Presque toutes ces exportations se faisaient par voie terrestre à travers la Syrie, et ces routes ont été complètement fermées ».

Le Liban s’est retrouvé avec un excédent de pommes destinées à l’exportation – et aucune politique n’a été mise en place pour protéger les agriculteurs. Le pays a continué d’importer des pommes d’autres pays, alors que les agriculteurs locaux subissaient des pertes. « Le gouvernement n’avait pas de stratégie à long terme en place et n’a pas conclu d’accords équitables pour exporter des produits libanais », ajoute Marie Nahas. Alors, les fermiers sont descendus dans la rue. « Certains ont coupé leurs pommiers et jeté des pommes sur les routes principales pour attirer l’attention sur la question », raconte-t-elle.

La famille Nahas était désemparée, mais ne s’avoua pas vaincue. Dans cette crise, « nous avons vu une opportunité », dit-elle. « Nous avons décidé de garder nos 1800 pommiers. Nous savions qu’il y aurait à nouveau une demande après ». Et quand ce jour sera arrivé, la famille Nahas voulait être prête.

Un sol fertile pour un avenir meilleur :

Tout comme un sol riche en minéraux, une bonne technique et des facteurs environnementaux peuvent créer les conditions idéales pour produire une récolte fructueuse, la famille Nahas possédait certains des ingrédients clés pour trouver une solution : connaissances agricoles, expérience financière et détermination.

« Nous sommes une famille d’agriculteurs », explique Marie Nahas. « Mes parents sont agriculteurs depuis plus de 30 ans ». Le courage de son père et ses connaissances en agriculture ont fourni une base solide ; Marie, elle, a apporté une perspective nouvelle et son expérience. « J’ai un diplôme en commerce international, et j’ai travaillé comme spécialiste en finances », dit-elle. Celle-ci avait passé de nombreuses années à l’étranger, réalisant des analyses financières pour des fermes en France et collaborant avec des institutions bancaires et financières au Canada. « Je savais comment améliorer les processus, réduire les coûts et identifier les moyens de se développer ». Lorsque la crise a frappé le pays, Marie est retournée au Liban pour aider sa famille.  

« L’agriculture fait partie de moi. Elle m’accompagnait partout où j’allais », dit-elle. « Mais quand je travaillais dans la finance, j’étais enfermée dans un bureau. J’avais besoin de retourner à la nature et à ma famille ». Marie finit donc par retourner à ses racines – la ferme familiale dans la Vallée de la Bekaaa (aussi appelée Beqaaa), la région agricole la plus fertile du pays – armée d’une décennie d’expérience en finance et du désir de sauver la ferme.

Planter les graines :

Marie Nahas se met au travail, exploitant ses connaissances financières et recherchant de nouvelles approches à l’agriculture. « Nous avons mené une étude de marché et découvert que beaucoup de gens veulent des produits sans pesticides », dit-elle. Celle-ci demande l’avis d’experts, notamment des consultants européens et des experts en agroécologie.

« J’ai visité la ferme de Nahas avec Paul Wojtkowski, un expert en agroécologie », explique Khaled Sleem. « Nous avons recommandé des solutions agro-écologiques pour augmenter les profits de la ferme. L’une des recommandations était de planter des cultures annuelles ‘d’accompagnement’ qui ne nécessiteraient pas d’intrants monétaires supplémentaires et qui pourraient profiter du même système d’irrigation goutte à goutte utilisé pour les pommiers. Nous avons également recommandé d’introduire des animaux pour la lutte antiparasitaire – des poulets qui mangeraient les insectes nuisibles, des oies et des canards qui réduiraient les mauvaises herbes, tout en fertilisant naturellement la terre et en générant de l’argent à partir de la production d’œufs et de viande ».

Lorsque cette expertise en agroécologie est venue enrichir les connaissances financières de Maria et l’expérience agricole de son père, la famille a pu mettre au point un plan d’action prometteur, avec des applications écologiques et de nombreuses sources de revenus. Celle-ci ne dépendrait plus d’un seul produit. Si la crise se reproduisait, la famille Nahas serait mieux préparée avec une gamme plus large d’offres. Basma Agricultural Products est né.  

« Notre nouvelle stratégie consiste à appliquer des méthodes agroécologiques et à réduire nos coûts de production afin que nous puissions devenir compétitifs sur le marché européen », explique Maria Nahas. La ferme est en train de passer de la monoculture à la multiculture – en introduisant des cultures complémentaires aux pommes afin d’améliorer le sol et le rendement. « Les plantes comme les haricots, les framboises et le miellat servent d’engrais naturel, et les feuilles et l’ombre qu’elles fournissent peuvent empêcher les mauvaises herbes nuisibles de pousser », explique-t-elle. La diversité des cultures crée une diversité de revenus pour la famille, ce qui rend l’entreprise moins dépendante d’un seul produit en cas de crises futures. Comme dit le proverbe : la famille Nahas ne met plus tous ses œufs dans le même panier. En fait, même les oiseaux se sont diversifiés à la ferme. « Nous avons maintenant une espèce spéciale de canard qui se nourrit d’insectes qui pourraient endommager nos cultures », dit Maria.

Leurs efforts ne s’arrêtent pas là. « Nous travaillons sur la certification Global GAP », explique-t-elle. « Nous contrôlons périodiquement l’eau et les cultures afin de nous assurer qu’il n’y a pas d’herbicides résiduels. Nous appliquons des pratiques de santé et de sécurité. Nous faisons du compostage maison et déchiquetons le bois résiduel pour l’utiliser comme paillis sous les arbres, ce qui réduit la température du sol et la consommation d’eau ».

La vision de la famille dépasse les limites de la clôture de la ferme. En plus des efforts agricoles et environnementaux, elle s’engage activement sur le plan social. « Nous embauchons 40 à 50 réfugiés par an pour travailler sur notre ferme », explique Maria Nahas. « Quand des enfants réfugiés se présentent, nous ne leur permettons pas de travailler ; nous les mettons en contact avec les ONG locales ».

Récolte des fruits :

La création de liens et l’amélioration de la vie des autres encouragent Maria et sa famille à continuer à apprendre et à se développer. En retour, la famille incite d’autres agriculteurs à sortir des sentiers battus. « Nous collaborons avec des coopératives de femmes qui aident à préparer les produits agroalimentaires que nous vendons », dit Maria.  « Et nous organisons des expériences agrotouristiques qui profitent aux visiteurs et aux agriculteurs locaux ». Grâce à la créativité et à la vision de la famille Nahas, la Vallée de la Bekaa a organisé en 2016 son premier événement agrotouristique collaboratif. « Nous avons invité des bénévoles pour aider les agriculteurs de la région », raconte Maria. « Nous avons servi un petit déjeuner traditionnel libanais avec de la musique traditionnelle. Puis des bénévoles sont sortis et ont aidé les agriculteurs locaux dans leur récolte ».

En prévision de la saison prochaine :

La famille Nahas connaît du succès grâce à une approche collaborative et innovante qui accorde la priorité aux personnes, à la planète et aux possibilités économiques. Mais fidèle à la vie d’agriculteur, le travail de cette famille n’est jamais terminé.

« Avant la crise, nous ne vendions localement qu’aux intermédiaires », explique Maria. « Nous n’avions pas à penser à changer notre stratégie. Mais la gestion de la ferme ne se limite pas à la culture. Maintenant, nous devons nous concentrer sur la qualité, les coûts et la durabilité pour être compétitifs sur un marché mondial ».

Pour rester  à flot, la ferme doit continuellement trouver des moyens d’améliorer ses produits et réduire ses coûts. « Nos frais sont souvent trop élevés pour que nous puissions être compétitifs sur le plan international. Le fait d’introduire de nouvelles plantes aide à réduire la somme allouée aux produits fertilisants. Basculer du pétrole au solaire, construire un système d’irrigation astucieux, et établir notre propre centre d’emballage réduiraient considérablement les dépenses ».

Mais pour une petite entreprise familiale, cela coûte cher de réaliser ces grands changements. Malgré les obstacles, la famille Nahas continue d’aller de l’avant, développant sa ferme de manière responsable pour qu’elle soit plus efficace, collaborative et écologique.

« En arabe, dit Maria, Basma signifie ‘un sourire’ ». Avec son dévouement, son approche innovante et son attitude de bon voisinage, la famille Nahas ramène le sourire dans la vallée de la Bekaa et au-delà.

 

Images : avec la permission de Basma Agricultural Products.

En plus d'être narratrice pour The Switchers, Sunny est une Lonely Planet Local, une écrivaine indépendante et la fondatrice de FROLIQ.Sunny Fitzgerald
Une approche agroécologique aide à sauver une ferme familiale libanaise | The Switchers
Traduction : Lilia Bacha
Basma Agricultural Products Aliments biologiques & Agriculture