17 Août 2018
Tunis, Tunisie
Aliments et agriculture durables

L’élevage de masse a un impact important sur l’environnement. La plupart des animaux destinés à la consommation humaine – comme les porcs, les vaches et les poulets – sont nourris de maïs et de soja. D’abord, cette nourriture n’est pas naturelle pour ces animaux et elle requière une utilisation excessive d’antibiotiques. Ensuite, ces élevages entraînent la déforestation et l’utilisation accrue de pesticides. Par ailleurs, pour arriver à nourrir la population croissante sur notre planète, la production alimentaire doit augmenter de 70 % d’ici 2050. Deux entrepreneurs tentent de changer la façon dont nous nourrissons le bétail, de sorte à rendre la production animale plus sûre et moins préjudiciable à l’environnement.

Syrine Chaalala était spécialisée dans les interventions d’urgence et travaillait avec les Nations Unies à Madagascar quand une idée lui est venue. À l’époque, elle répondait à une crise humanitaire : des criquets avaient envahi le pays, anéantissant les récoltes et créant la famine. La seule solution était d’utiliser des pesticides pour se débarrasser des criquets – chose qui, à son tour, rendait les cultures encore moins comestibles. Syrine a alors commencé à réfléchir aux insectes et à leurs avantages, notamment leur haute teneur en protéines et le fait qu’ils soient l’une des ressources les moins exploitées de la planète.

« Au début, mon mari et moi avons commencé à réfléchir à des façons de nourrir les gens avec des insectes, mais nous nous sommes rendu compte qu’il n’y a pas encore de marché pour cela. C’est une [petite] niche ; les gens peuvent servir des grillons lors d’une fête pour s’amuser, mais ils ne sont pas encore prêts à manger des insectes à grande échelle », dit Syrine. « En revanche, [les insectes] seraient beaucoup plus acceptés comme aliment pour animaux ».

Une idée germe ainsi chez Syrine et son mari, Mohamed Gastli, qui était ingénieur. Ils décident de trouver un moyen de nourrir le bétail avec des insectes. En plus, cela leur permettrait de créer une entreprise où ils passeraient plus de temps ensemble : avec l’ONU, Syrine voyageait souvent, tandis que son mari vivait à Paris et travaillant comme ingénieur et producteur de musique.

« Nous voulions trouver quelque chose qui combine nos deux passions, et qui nous permette de vivre sur le même continent, dans le même pays », explique Syrine.

Ainsi, comme pour toute bonne startup, le couple a commencé à faire des expériences dans leur garage en Tunisie sous une tente Ikea, et nextProtein est né en 2014

 

Comment nextProtein fait de la nourriture à partir d’insectes :

Ce n’est pas facile de produire en masse des aliments pour animaux à partir d’insectes. Syrine et Mohamed font des recherches et des expériences avant de se décider pour la mouche soldat noire, qui fournit un rendement élevé avec un cycle reproductif court. Le couple découvre qu’il est possible de nourrir les mouches avec des déchets organiques.

« Un tiers de la nourriture humaine finit dans les décharges », explique Syrine. « Pour nous, il était donc important de choisir un insecte qui n’enlèverait pas de la nourriture humaine, mais un insecte qui nous permettrait de réutiliser le produit gaspillé et de le réintégrer dans le cycle alimentaire ».

Les insectes sont élevés sous la forme de larves, puis transformés en deux produits princiupaux : nextProtein, une protéine en poudre, et nextOil, une huile après extraction. Il y a également un troisième produit nextGrow, un engrais naturel.

Des années après sa création, nextProtein a bien évolué par rapport à son premier siège social dans un garage. L’entreprise a d’abord déménagé dans une ferme de 300 mètres carrés, puis dans une usine de 3 000 mètres carrés, où elle fabrique des produits nextProtein depuis un an.

« Nous sommes en train de créer une toute nouvelle industrie », dit Syrine. « Notre premier marché est l’Europe, et jusqu’à présent, nous sommes certifiés pour créer des produits destinés à l’alimentation des poissons et des animaux domestiques. Notre prochain objectif est d’obtenir la certification pour nourrir les animaux d’élevage comme les poulets et les porcs. Notre processus est si naturel qu’aucune hormone ou antibiotique ne sont ajoutés au cours de l’élevage, ce qui rend les animaux plus sains ».

Les experts du monde entier comprennent la nécessité de disposer d’une autre source de nourriture pour le bétail.

« Nos données nous permettent de voir plus clairement à quel niveau il nous est possible de travailler avec les éleveurs pour améliorer les régimes alimentaires des animaux afin qu’ils puissent produire plus de protéines avec de meilleurs aliments tout en réduisant les émissions », déclare Petv Havlik, chercheur à l’IIASA et co-auteur d’une étude sur l’impact du bétail sur l’environnement, selon le TIME magazine.

La croissance de nextProtein et les projets pour l’avenir :

Les investisseurs ont remarqué NextProtein et les efforts faits pour une meilleure qualité d’environnement. Jusqu’à présent, l’entreprise a obtenu un financement de 1,3 million d’euros et espère obtenir 10 millions d’euros supplémentaires.

« Nous avons des anges investisseurs étonnants », dit Syrine. « Andrew Heinz, de Heinz ketchup, est l’un d’entre eux ; de plus, nous avons d’éminents investisseurs européens et de la Silicon Valley, tels que Xavier Niel de Free et Station F. Nous travaillons également avec Anaxago, une plateforme de collecte de fonds en France.

Construire une forme durable d’alimentation animale demande beaucoup de travail au couple, mais tous deux sont fiers de ce qu’ils ont accompli jusqu’à présent.

Pour Syrine, agir pour améliorer l’environnement est important, nécessaire.

 « Depuis l’enfance, j’ai toujours voulu faire quelque chose de positif. J’ai vécu un certain temps au Kenya, ce qui m’a fait prendre conscience de ce qui se passe dans le monde. Et en travaillant avec l’ONU, j’ai vu les ravages que les catastrophes naturelles pouvaient causer dans différents pays et cela m’a vraiment ouvert les yeux sur les changements climatiques. Quand vous voyez de vos propres yeux les personnes touchées par les catastrophes et les enfants affamés, il vous est impossible de continuer votre journée sans rien faire contre ça ».

En 2020, l’entreprise avait reçu l’autorisation de l’Union européenne de commercialiser ses produits sur le continent, devenant « la première entreprise d’élevage d’insectes produisant hors UE » à pouvoir vendre ses produits sur le marché européen.

« Nous avons réussi à lever 10,2 millions d’euros en mai 2020, en plein confinement. Cette opération était nécessaire pour augmenter la capacité de production de notre site en Tunisie. A Paris, nous avons un bureau où se trouvent les services commerciaux, marketing et juridiques. un laboratoire à Evry où travaillent notre équipe R&D et nos ingénieurs. Notre premier site de production est situé en Tunisie et nous y employons une cinquantaine de personnes », Mohamed Gastli.

En 2023, elle a réussi à obtenir l’autorisation de la Federal Food and Drug Administration américaine, la FDA, pour commercialiser ses produits aux USA.

Pour en savoir plus sur nextProtein, visitez son site Web et consultez sa  page Facebook.

Photos : Avec la permission de nextProtein.

Kristin Hanes est une journaliste passionnée par l'environnement, la durabilité et la science. Elle adore raconter les histoires des gens qui font une réelle différence dans le monde.Kristin Hanes
Pour n’en faire qu’une bouchée : transformation des insectes en aliments pour animaux en Tunisie | The Switchers
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