09 Avr 2018
Baakline/Deir Dourit, Liban
Tourisme durable

Au Bkerzay, le plus grand écolodge du Liban, chaque objet raconte une histoire. Il y a la table basse récupérée qui, dans une autre vie, était utilisée pour transporter des bébés éléphants en Inde. Il y a les rideaux ornés au crochet, qui apportent une touche moderne à l’artisanat traditionnel libanais. Et enfin, il y a la propriété elle-même : véritable témoignage de l’architecture vernaculaire et de la nature, celle-ci a été bâtie selon les principes de la durabilité et dans le respect de l’environnement.

Niché dans une forêt de montagne intacte au-dessus de la vallée du Chouf, le Bkerzay est la réponse de Ramzi Salman à la dégradation dont il a été témoin au Liban dans les années qui ont suivi la guerre civile. « C’était une réaction à toute la laideur au Liban : la corruption, la pollution, le surdéveloppement et les méthodes non durables », dit Karim Salman en expliquant la raison pour laquelle son père a créé le Bkerzay.

« Nous avons connu le Liban d’avant la guerre civile, c’était un endroit incroyable », se souvient Ramzi. « On l’appelait la Suisse du Moyen-Orient, et c’était beau – que l’on parle d’environnement, de société ou d’architecture. On peut encore en voir les vestiges, mais ils sont dispersés ». Avec le Bkerzay, il est question de faire revivre cette beauté.

Du flanc de montagne à l’écolodge de montagne :

Avant que cette terre ne devienne le Bkerzay, c’était une parcelle de forêt discrète dans les montagnes du Chouf au Liban, à 45 minutes en voiture de Beyrouth. C’était fin 2008, et les Salman cherchaient une escapade en montagne pour fuir le bruit et la pollution de la capitale.

Cette propriété avec des oliviers, des pins d’Alep et des figuiers en abondance était un remède parfait. De nombreux villageois avaient quitté la région pendant la guerre civile, mais Ramzi a été attiré par l’endroit. « J’ai été impressionné par la beauté des terres agricoles et d’une réserve forestière naturelle appelée Herch Baakline se trouvant non loin de là. J’ai compris qu’il fallait préserver la région et lui redonner vie si on voulait voir ses habitants s’y attacher », explique-t-il.

Aujourd’hui, le Bkerzay s’étend sur 200 000 mètres carrés de terrain, dont 85% sont maintenus en tant que zone forestière. Un plan directeur a été établi pour réduire les zones constructibles, ce qui signifie que la nature sera préservée pour les générations futures.

Ramzi s’est rendu compte que pour préserver la région, il devait aussi promouvoir l’artisanat et les produits agricoles du terroir. En 2012, il rencontre Ahmad Deif, un jeune maître potier égyptien. Il lui offre un espace dans sa maison de montagne, et un atelier de poterie naît aussitôt de cette rencontre. Ensuite, un apiculteur est venu les rejoindre, et puis on a commencé à fabriquer du savon et à extraire de l’huile à partir de la récolte d’olives. Enfin, on imagina un petit café pour offrir des collations aux visiteurs.

« On avait de bonnes idées, mais le Bkerzay n’était toujours pas rentable », dit Karim. « Comme l’endroit est magnifique et intact, mon père a pensé que nous pourrions aussi y développer quelques maisons d’hôtes tout en conservant son authenticité ».

Ce plan a rapidement pris de l’ampleur. « Étant architecte et constructeur, mon père s’est laissé emporter. Il était vraiment emballé et a décidé de se lancer dans un hôtel à 34 clés. Quand on compare ce que le concept est devenu par rapport à son point de départ, c’est un saut considérable », dit Karim en riant.

Étudiant aux États-Unis pendant que tout cela était en cours, ce n’est qu’à sont retour au Liban en juillet 2017 puis au mariage de sa sœur le mois suivant, que Karim s’est rendu compte de l’ampleur du projet. La maison d’hôtes a ouvert une semaine après avoir accueilli le mariage le 24 août, et Karim a réalisé que la propriété avait besoin d’un gérant à temps plein.

Architecture durable à l’intérieur et à l’extérieur :

Le Bkerzay ouvre enfin ses portes avec Karim comme nouveau directeur.

Les visiteurs sont les premiers à réaliser que chaque maison d’hôtes possède une disposition unique. La piscine à débordement est un bassin de forme curieuse qui surplombe la vallée. Cependant, les méthodes employées sont d’une rigueur folle. « Pas un seul arbre n’a été abattu pour nos constructions », dit Ramzi. « À l’inverse, les arbres existants ont dicté l’architecture et la disposition de l’ensemble du projet.

Alors que la disposition des maisons d’hôtes est complexe pour pouvoir contourner la nature, le style de construction est d’une simplicité rafraîchissante. Ramzi s’est inspiré de l’architecture méditerranéenne traditionnelle libanaise et vernaculaire : murs et arcs en pierre, toits fleuris. « Il y a déjà beaucoup de beauté naturelle ici, ce qui explique que l’architecture libanaise soit un peu sous-estimée », dit Karim.

Les intérieurs du Bkerzay marquent aussi le retour à l’artisanat traditionnel libanais. C’est là qu’un autre membre de la famille entre en jeu : Zeina Takieddine, une décoratrice d’intérieur expérimentée et la sœur de Ramzi Salman. Zeina a dirigé l’aménagement du Bkerzay aux côtés de l’architecte d’intérieur libanaise May Daouk. 

Lorsqu’elle était enfant, Zeina se rappelle avoir rendu visite à ses grands-parents à Baakleen, une ville du district du Chouf au Liban. Sa grand-mère était à la tête de l’atelier de crochet local, et l’une des premières mesures prises par Zeina lorsqu’elle a travaillé sur la décoration du Bkerzay a été d’approcher les artisanes.

« Je recherchais cette technique ancienne, mais leur atelier ne proposait pas de nouvelles idées. Nous avons donc cherché des petits détails architecturaux et nous avons créé quelque chose de nouveau », Explique Zeina. « Chaque femme avait son petit grain de sel à ajouter au dessin ». Le résultat de ces dessins est maintenant exposé sur les rideaux du Bkerzay.

Fidèles au concept de recyclage, la plupart des meubles proviennent d’anciennes pièces de brocante, créant une ambiance rustique, charmante et authentique. « C’est comme se promener dans la maison de vos grands-parents, mais avec le confort de 2018 », explique Karim en parlant du décor.

Les nombreuses mesures durables du Bkerzay :

Traditionnel dans sa conception, le Bkerzay reste à l’avant-garde en matière d’économie d’énergie et de durabilité. Les panneaux solaires produisent les deux tiers de l’électricité du gîte écologique, et des panneaux supplémentaires sont ajoutés chaque saison. Les pièces ne contiennent pas d’appareil à énergie lourde, et le chauffage provient du bois sec qui a été défriché dans la forêt, ce qui atténue le risque d’incendie en été.

Le Bkerzay, c’est aussi zéro déchet, grâce à la  Cedar Environmental, une ONG basée à Beyrouth qui collecte, récupère et recycle les déchets de toutes sortes. A l’avenir, les eaux grises seront réutilisées pour l’irrigation.

Bien que le Bkerzay soit une entreprise familiale, celle-ci emploie une équipe élargie dont les membres ont leur rôle à jouer dans la réalisation des ambitions en matière de développement durable : Maha Nasrallah, architecte primée en matière de développement durable, et Lara Moutin, consultante internationale en développement durable et chaînes d’approvisionnement. En tant que manger du projet, Lara était responsable de la conception et de la mise en œuvre des différents processus, et de l’engagement des parties prenantes. Maha et Ramzi ont combiné leur expertise architecturale pour veiller à ce que les éléments architecturaux durables soient bien intégrés dans le Bkerzay. Cet effort d’équipe explique en grande partie la réussite du projet.

Aujourd’hui, l’équipe du Bkerzay met la touche finale à sa candidature pour recevoir la note « très bien » de la  BREEAM, la première certification mondiale en matière de design durable. Elle serait dans ce cas la première entreprise commerciale au Liban à recevoir la notation. Pour mettre en œuvre le processus de candidature, Lara travaille aux côtés d’EcoConsulting, une société de conseil en construction durable basée à Beyrouth.

« En tant que projet d’écotourisme, la certification BREEAM serait un label tiers qui augmenterait la crédibilité [de l’entreprise]. C’est un label reconnu qui peut améliorer sont marketing et sa visibilité », explique Ghaith Moufarege, ingénieur principal en durabilité chez EcoConsulting. Parmi les autres avantages de la certification, il y a l’admissibilité à des prêts à faible taux d’intérêt (1 %) pour couvrir partiellement les coûts de futures constructions.

« Je pense que ce qu’ils font, indépendamment de la certification, sera un modèle à suivre à l’avenir », ajoute Ghaith, en parlant de l’équipe du Bkerzay et des mesures de durabilité prévues par cette dernière.

Le plus grand écolodge du Liban :

Au-delà de la durabilité environnementale, il y a la question de la durabilité économique. Le Bkerzay est conscient de son rôle de prestataire communautaire et emploie environ 50 personnes dans son restaurant, ainsi que dans l’artisanat, les services et l’agriculture. Celui-ci fournit également du travail indirect à quelques centaines de personnes travaillant dans toute la région du Chouf. « L’idée est de continuer à assurer des emplois continuellement, 365 jours par an », ajoute Karim.

Sept mois après le début des travaux, le Bkerzay est aujourd’hui en mesure d’accueillir plus de 1200 résidents pour la nuit. À présent, le personnel se prépare pour sa première saison estivale, où un consultant a prédit qu’il y aurait jusqu’à 85 % d’occupation sur toute la saison.

« Quand Ramzi a commencé tout ça, les villageois s’étaient dit : ‘Qui est ce fou qui s’intéresse à cet endroit perdu ?’ Neuf ans plus tard, ils découvrent le Bkerzay », dit Zeina en riant.

Et c’est là le petit déclic du Bkerzay : rééquilibrer la façon dont les gens voient et apprécient la nature, et réconcilier le peuple libanais avec son pays.  

 

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Photos : Avec la permission du Bkerzay.

 

Hilary est journaliste, photographe et créatrice. Elle adore travailler avec les entrepreneurs pour partager leurs histoires et elle le fait partout dans le monde.Hilary Duff
Dans cet écolodge au Liban, la durabilité est une affaire de famille | The Switchers
(Trad. Lilia Bacha)
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