28 Oct 2015
Béni-Isguen,
Constructions durables, Énergies renouvelables et efficacité énergétique

Tafilelt est une ville nouvelle de la Vallée du M’Zab qui reflète l’héritage culturel et architectural d’une région millénaire. Le ksar (village fortifié) comporte 1 050 maisons de type saharien conçues dans le respect de l’environnement et des techniques de construction locales. Alliant des valeurs d’entraide et d’engagement environnemental, Tafilelt encourage ses habitants à entrer pleinement dans l’écocitoyenneté à travers diverses initiatives communautaires.

Au cœur du désert saharien, la Vallée du M’Zab a conservé depuis le XIème siècle pratiquement le même mode d’habitat et les mêmes techniques de construction, ce qui lui a valu d’être classée au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est dans cette région qu’a vu le jour le ksar de Tafilelt, un projet de ville nouvelle développé par la fondation Amidoul. La cité de Tafilelt a été imaginée dans une logique environnementale et de développement durable, mais aussi pour répondre à la nécessité de préserver les valeurs sociales de cette société traditionnelle. Grâce à un système d’autofinancement et d’entraide sociale, 1 050 maisons ont vu le jour dans la cité de Tafilelt, employant des matériaux locaux et des techniques traditionnelles pour leur construction. En plus d’intégrer de nombreuses solutions écologiques comme l’usage de panneaux solaires et le traitement des eaux usées, la cité de Tafilelt encourage ses habitants à participer pleinement à ce projet de construction durable à travers des formations et des ateliers divers autour du thème de la protection de l’environnement.

Rencontre avec Moussa Amara, directeur technique du projet Tafilelt.

– Comment est né le projet de Tafilelt ?

– Tafilelt est un projet social développé par la fondation Amidoul, une entité algérienne à but non lucratif. Le projet a été lancé à la fin des années 1990 pour répondre à la crise du logement dans la Vallée du M’Zab. Cette vallée est un site classé par l’Unesco, mais son patrimoine commençait à se dégrader, et la palmeraie se retirait petit à petit face à l’avancée du béton. Monsieur Ahmed Nouh, président de la Fondation Amidoul, a donc initié ce projet de construction de logements destinés à la classe moyenne. C’était un projet courageux, car l’emplacement choisi était celui d’un site rocheux, avec des déclivités importantes. Mais l’objectif était de protéger la palmeraie.

– En quoi consiste le modèle d’habitats de Tafilelt ?

– La construction de la cité de Tafilelt a été un travail long et difficile, mais nous avons finalement réussi à construire 1 050 maisons de tailles diverses, qui s’adaptent aux besoins de chaque famille. Les conditions climatiques de la région nous ont obligés à concevoir des ruelles étroites pour protéger la ville des vents chauds. Tous les équipements socio-éducatifs et commerciaux ont été intégrés à la cité de manière à ce que l’ensemble architectural soit harmonieux. Le choix des matériaux était aussi très important. Nous avons privilégié dès le départ des matériaux locaux, comme la pierre, la chaux et le plâtre. À quoi bon utiliser du béton quand la Vallée du M’Zab s’assoie sur un gisement de pierre inépuisable ? Sur le chantier, nous avons aussi réintroduit des techniques traditionnelles dans le travail de la pierre, de la ferronnerie, des boiseries… L’idée était d’allier tradition et modernité.

La cité utopique du désert algérien | The Switchers
La cité utopique du désert algérien | The Switchers

– Quelle valeur écologique apporte ce projet ?

– Tafilelt s’inscrit dans une démarche de préservation patrimoniale et environnementale. Nous sommes situés dans la Vallée du M’Zab, un site à l’équilibre fragile au cœur du désert du Sahara, qui souffre principalement du manque d’eau. Nous avons donc conçu quatre mini-stations de traitement des eaux usées à base de végétation (phyto-épuration) réparties dans différents points de la cité. Nous avons également mis en place un système de tri sélectif. Toutes les familles ont été formées en amont pour connaître les techniques de gestion des déchets. Nous utilisons par exemple les déchets organiques pour faire du compost ou pour nourrir les chèvres. Nous avons aussi créé un éco-parc avec des espaces dédiés aux pratiques biologiques, où nous organisons de nombreuses activités.

– L’implication environnementale est-elle obligatoire pour les habitants ?

– Non, c’est facultatif. Mais les gens s’inscrivent spontanément dans cette démarche lorsqu’ils sont bien informés. Grâce à cette prise de conscience des habitants, le volume de déchets domestiques a été réduit de 60 à 70%. Tafilelt est aujourd’hui réputée pour sa propreté. Les services de la commune ne prennent en charge le ramassage des déchets qu’à des points bien précis. Le reste du nettoyage de la vallée est pris en charge par les citoyens eux-mêmes.

L’objectif est d’impliquer les habitants dans une prise de conscience environnementale pour assurer la transition vers le monde de demain. Moussa Amara, directeur technique du projet Tafilelt.
La cité utopique du désert algérien | The Switchers

– Les habitants de la cité étaient-ils sensibles à la question de la préservation environnementale et patrimoniale ?  

– Les gens ici sont enracinés dans leur terre, ils ont conscience de l’importance de préserver le patrimoine architectural local. En revanche, la question environnementale est nouvelle pour eux. Jusqu’à récemment, c’était un sujet abordé uniquement dans les milieux intellectuels. Mais finalement, on se rend compte que les gens adhèrent spontanément à ces démarches de protection environnementale. Et puis nous avons aussi mis en place des petites actions pour les motiver. Par exemple, il y a dans la cité un poulailler et une petite ferme avec des chèvres, des vaches, etc. Les citoyens qui traitent leurs déchets reçoivent des œufs ou du lait pour les récompenser dans leur action. C’est une façon de les motiver, même si les gens le font spontanément.

– Comment a été financé le projet ?

– Nous avons eu recourt à un système d’autofinancement et d’entraide sociale. Des prêts sans intérêts ont été concédés par des notables généreux qui soutiennent la fondation. Les futurs propriétaires font un petit apport initial et s’engagent à rembourser le prix restant du logement selon un échéancier fixé en fonction de leurs capacités de remboursement. Au sein de la fondation, il y a une commission dédiée à la sélection des dossiers et à l’accompagnement des futurs propriétaires, qui reçoivent en plus une aide importante de l’État pour devenir propriétaires.

– Quel rôle tient l’aspect communautaire dans ce projet ?

– L’aspect communautaire est un héritage millénaire dans la Vallée du M’Zab. Nous avons voulu préserver des valeurs essentielles comme celle de bien vivre ensemble et de l’entraide. Cet aspect a également défini l’envergure du projet dans notre volonté de créer une ville gérable, où tout le monde connaît tout le monde, où les gens se sentent en sécurité. Cela détermine aussi de nombreux aspects logistiques en termes de gestion des déchets et d’efficacité énergétique. On peut produire nous même notre énergie dans des espaces gérables.

 

– Avez-vous l’intention de créer une autre Tafilelt dans l’avenir ?

– Pour l’instant nous ne pouvons pas répondre aux besoins de toutes les communes, en revanche nous souhaitons lancer une formule d’accompagnement et mettre notre expérience et notre savoir au service d’autres initiatives semblables à Tafilelt, que ce soit en Algérie ou dans le reste du monde.

 

Tafilelt Construction